Télétransmigration

Quand je regarde ma petite sœur de 5 mois je me dis que son cerveau doit avoir la consistance d’un chamallow. Bon ok, peut être de 3 chamallows vu qu’elle sourit, les neurones commencent à se connecter.

Parfois j’aimerais bien être à sa place, ça m’éviterait d’aller à l’école, de ramasser des mauvaises notes et de me faire disputer. Mais je n’aime pas travailler, l’école pour moi c’est la prison et un prisonnier n’a qu’une envie c’est de s’échapper.

Oh oui, ça serait trop cool d’être comme Sarah, je passerai ma journée à dormir, manger, me faire cajoler, me faire…dessus, beurk ça c’est pas cool du tout. Et puis porter des couches quelle horreur, et régurgiter ce que je mange, bof, ramper par terre, mouais, finalement c’est pas si bien d’être un bébé.

Quand-même, souvent je rêve que je me transporte dans un autre corps, que je deviens une autre personne, et ressens ce que cette personne ressent. Par exemple, si je devenais Hugo, le premier de la classe. Je devrais porter des lunettes, bof, je saurais toujours répondre à la maîtresse. J’aurais plein de copains qui me demanderaient de les aider, oui enfin ça c’est pas vraiment des copains. Bon, prenons un autre exemple. Ah je sais, Steven, le beau gosse de l’école. Toutes les filles deviennent trop bizarres devant lui. Faut dire que les filles c’est nul. Mais Steven il est super fort, il fait du surf et il est musclé et il a le teint mat, j’aimerais bien lui ressembler. Je me concentre, ferme les yeux et me transporte mentalement, je deviens Steven, vraiment, j’arrive à ressentir ce que ressens Steven. Mes bras ont doublé de volume, j’ai des carrés marqués sur mon ventre, il paraît qu’on appelle ce phénomène « des tablettes de chocolat » (j’adore le chocolat), c’est génial. Par contre, je me sens beaucoup plus lourd et je n’aime pas trop cette sensation. Et puis, je découvre que mon nouveau moi ne s’aime pas, se trouve moche, alors que toute le monde pense le contraire. Ce n’est pas top au fond d’être Steven.

Je sais je vais essayer d’être un adulte, les adultes savent tout, peuvent tout faire. Ils peuvent conduire des voitures, des motos, se coucher tard, regarder des films le soir, aller aux concerts. Mon prof de karaté sera mon nouveau sujet d’expérience. Je me concentre, grandi de 50 cm d’un coup. Tiens c’est quoi cette sensation, j’ai mal au bras, une douleur permanente. J’apprends qu’on appelle ça une tendinite. Zut, pas de chance, il est pourtant jeune mais il a des douleurs de vieux. Et puis il rumine plein de choses dans sa tête, il doit appeler son banquier car son compte est dans le rouge, il a des problèmes avec sa copine. Ben dis donc, c’est compliqué d’être adulte, il faut être vachement sérieux en fait. Ils ne sont pas si libres que ça.

Il me resterait bien encore un sujet d’expérience à tenter, je le regarde assis tranquillement dans son fauteuil en train de faire ses mots fléchés, mon Papy. Il est super cool, mais vraiment trop ridé, et mamy…je l’adore, mais bon, elle est à peine moins ridée que Papy.

Peut-être que je devrais me concentrer sur Samuel, le frère de Sarah, ce gamin qui n’aime pas l’école et se sent en prison. Au fond, peut-être que la prison on se la crée nous même en voulant toujours mieux, ou plus, ou autre chose, au lieu d’apprécier ce que l’on a et d’être l’artisan de sa vie.

Oui, je ne suis pas si mal comme je suis, et je peux même être très bien.